Aux Cayes, les Gede font vibrer la ville : Trois jours de rires, de mystères et de mémoire

Aux Cayes, les Gede font vibrer la ville : Trois jours de rires, de mystères et de mémoire

Une ville entière au rythme des esprits

Cette année, les Cayes ont célébré la Fèt Gede avec une intensité qui n’a rien à envier à Port-au-Prince. Pendant trois jours, la ville a résonné du souffle des tambours, du parfum du clairin et du rire provocateur des Gede.
Le 31 octobre, Lakou Kanari a ouvert les célébrations au Club On The Bay dans une ambiance à la fois mystique et festive. Entre chants Vodou, performances symboliques et moments de recueillement, la soirée a posé le ton : la fête serait totale — spirituelle, culturelle et profondément haïtienne.

Le lendemain, 1er novembre, la foule s’est déplacée vers le Grand Cimetière des Cayes, lieu sacré par excellence. Là, entre les tombes fleuries et les croix blanches, les vodouwizan (pratiquants du Vodou) ont rendu hommage aux morts, versé du café, allumé des bougies et chanté au son des tambours.
Les visages poudrés de blanc, les foulards violets, les lunettes noires et les danses suggestives ont donné à la cérémonie une atmosphère à la fois solennelle et subversive : rire avec les morts pour mieux vivre.

Et pour clore ce long week-end, le 2 novembre, la Jeunesse Band a fait vibrer les rues avec une animation rara explosive. Les sons du tambour et des vaksin (instruments à vent traditionnels) ont fait danser la foule dans un mélange d’humour, de ferveur et de frissons mystiques.
Tout un weekend de festivités où le sacré et le profane se sont enlacés sans complexe.

Photo: Duples Plymouth/#SakapfetOkay?

Les Gede : entre provocation, protection et renaissance

Dans la tradition Vodou, les Gede ne sont pas des esprits morbides : ils sont les gardiens de la frontière entre la vie et la mort. Ils incarnent le rire face au destin, la sexualité comme force de renaissance, et la mort comme simple étape vers une autre forme de vitalité.
Sous leurs habits noirs, blancs et violets, ils rappellent que la vie n’a de sens que lorsqu’elle regarde la mort en face — sans peur, mais avec ironie.

Le rituel le plus marquant, observé dans plusieurs cérémonies, fut celui du piment et du clairin. Certains initiés, en transe, ont osé frotter le mélange de rhum et de piment fort sur leurs parties génitales, sans broncher. Un acte que beaucoup regardent avec stupeur, mais que les initiés interprètent comme une preuve de possession divine.
Ce geste, à la fois comique et sacré, traduit une idée centrale du Vodou : la douleur transformée en force, le corps traversé par l’esprit, la souffrance humaine sublimée par la puissance des lwa (esprits).


La Fèt Gede : un miroir social et culturel

Au-delà du folklore, la Fèt Gede est un baromètre de la société haïtienne. Les Gede, avec leur humour cru et leur franchise désarmante, se moquent des puissants, dénoncent l’hypocrisie et libèrent la parole populaire.
Dans les Cayes, cette dimension critique s’est fait sentir dans les chants improvisés, les sketches des possédés, et les rires partagés au milieu du cimetière.
La fête devient alors une catharsis sociale, une manière pour le peuple de dire ce qu’il pense, sans peur, sous la protection des esprits.

Vue Aérienne de la célébration de la fête Gede dans le grand cimetière de la ville des Cayes - Photo : Artiz Pro

Haïti rit encore avec ses morts

Aux Cayes, cette édition 2025 de la Fèt Gede a été plus qu’un simple événement spirituel : un manifeste culturel, un rappel vibrant que le Vodou n’est pas une superstition, mais une philosophie de vie.
Entre les cérémonies du cimetière, les performances de Lakou Kanari et le rara de la Jeunesse Band, la ville a offert un spectacle total où se mêlaient foi, musique, sensualité et satire.

Dans cette danse entre vie et mort, les Gede rappellent à Haïti que rien ne s’éteint vraiment — ni les ancêtres, ni la culture, ni la joie.
Et dans un pays souvent frappé par les crises, cette fête des morts réaffirme ce que le peuple haïtien sait mieux que quiconque : la vie est plus forte quand on ose la célébrer, même face à la mort.

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