Yanick Lahens, la voix des mémoires haïtiennes, couronnée par l’Académie française
Littérature francophone et mémoire collective se sont rencontrées, une fois encore, sous la Coupole. Le jeudi 30 octobre 2025, l’Académie française a décerné son prestigieux Grand Prix du roman à l’écrivaine haïtienne Yanick Lahens pour Passagères de nuit, publié aux éditions Sabine Wespieser. Une victoire obtenue d’une courte avance — onze voix contre dix — face à Pauline Dreyfus, preuve d’un scrutin particulièrement disputé et révélateur de la puissance de ce roman.
Une écrivaine au cœur des réalités haïtiennes
Née le 22 décembre 1953 à Port-au-Prince, Yanick Lahens s’est imposée depuis plus de vingt ans comme l’une des grandes voix de la littérature caribéenne. Romancière, essayiste, universitaire, elle explore avec une précision rare les dynamiques sociales, les fractures historiques et la résilience d’un peuple marqué par la violence et la beauté.
Sa carrière romanesque prend son véritable essor en 2000 avec Dans la maison du père. Depuis, son œuvre s’est enrichie de titres majeurs, dont Bain de lune, couronné du prix Femina 2014, et d’un ensemble de nouvelles et essais qui interrogent mémoire, identité et héritages coloniaux. Son écriture, à la fois poétique et implacable, s’est forgée au fil d’un engagement culturel profond en Haïti, où elle a longtemps enseigné à l’Université d’État.
Reconnue sur la scène internationale, elle occupe en 2019 la chaire “Mondes Francophones” au Collège de France, marquant une étape symbolique dans la reconnaissance mondiale des littératures haïtiennes.
Passagères de nuit, un roman de filiation et de résistance
Le roman récompensé par l’Académie française plonge dans les lignées féminines, celles souvent invisibles dans l’Histoire officielle mais essentielles dans l’Histoire réelle. Depuis Elizabeth, née en 1818 à La Nouvelle-Orléans, jusqu’à Régina, “née pauvre parmi les pauvres” en Haïti un demi-siècle plus tard, Lahens déroule une traversée temporelle où les femmes portent l’énergie vitale, la survie, et la transmission.
Le livre convoque également les “passagères de nuit” — ces femmes déportées sur les navires négriers — dont la douleur et la résistance forment la racine d’un récit multigénérationnel. Lahens y oppose la nuit à la lumière, la violence à la dignité, l’effacement à la parole retrouvée.
Selon l’éditeur, le roman est “un hommage d’espoir et de résistance à la lignée des femmes dont elle est issue”. Un fil narratif qui, malgré la gravité de l’histoire, porte en lui la promesse d’une avancée : “Toujours avancer sans se retourner.”
Une consécration pour une littérature indépendante
Ce prix rejaillit également sur les éditions Sabine Wespieser, maison indépendante fondée en 2002. En couronnant Passagères de nuit, l’Académie française confirme l’importance de ces éditeurs qui défendent des voix singulières, éloignées des logiques industrielles. Lahens succède ainsi à Miguel Bonnefoy, lauréat 2024, consolidant une continuité de littérature exigeante et inventive.
Un signal fort dans la saison des prix littéraires
Comme il est d’usage, le Grand Prix du roman ouvre la danse des grands prix d’automne — Femina, Goncourt, Renaudot, Médicis. En récompensant Yanick Lahens, l’Académie affirme une fois de plus l’importance des littératures francophones, des récits de marge, des voix dont la force narrative traverse les frontières.
À 71 ans, l’auteure haïtienne confirme son statut de figure incontournable de la littérature contemporaine. Son prix n’est pas seulement une distinction : c’est un rappel que les histoires enfouies, celles des femmes, celles des peuples oubliés, continuent d’éclairer nos sociétés.
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