Après la grande vague d’indignation, viendra le calme. Ce moment où, les passions apaisées, nous comprendrons que la sortie d’Etzer Émile n’était pas une provocation, mais un électrochoc salutaire.
En nous demandant d’arrêter de nous éterniser sur Dessalines, Pétion et Christophe, il n’a pas renié la mémoire nationale, il a pointé du doigt notre dépendance maladive à la gloire d’hier, devenue anesthésiant de notre paresse collective.
Il faut du courage pour toucher à ces figures sacrées. Ici, on peut tout dire, sauf oser remettre en question le mythe des Pères fondateurs. On peut détruire le pays sans être inquiété, mais interroger Dessalines, c’est frôler la trahison.
Pourtant, ce qu’Etzer a fait est profondément patriotique : il a forcé la nation à se regarder dans le miroir. Et le reflet est cruel.
Nous ne sommes plus le peuple de Dessalines. Nous ne bâtissons plus. Nous ne rêvons plus. Nous nous contentons de commémorer.
Nos héros sont devenus des slogans. Nos dates historiques, des jours fériés sans mémoire. Nous invoquons 1804 comme un talisman, tout en piétinant l’idéal qu’il symbolisait : dignité, éducation, solidarité. Nous sommes les héritiers d’une révolution que nous ne savons plus continuer.
Etzer a raison : la célébration du passé est devenue le paravent de notre inaction.
Chaque fois qu’on évoque Dessalines, c’est pour se justifier, jamais pour se relever.
“Ce n’est pas notre faute, tout a commencé dès l’indépendance.”
Non. L’histoire n’est pas un alibi. Elle est un mandat. Et nous l’avons trahi.
L’indignation contre Etzer révèle une peur : celle de perdre notre dernier repère, celui du mythe. Parce que sans les héros, que reste-t-il? Un présent terne, sans cap, sans œuvre commune. Mais il faut bien avoir le courage de le dire : les statues ne bâtiront pas le pays à notre place.
L’hommage le plus fidèle à Dessalines n’est pas dans les discours du 1er janvier, mais dans la continuité de son œuvre — dans le travail, la discipline, la créativité. Les héros d’hier ont bâti dans le sang et le chaos; à nous maintenant de bâtir dans le désordre et la lucidité.
Oui, Etzer Émile dérange. Et c’est tant mieux.
Ce pays dort dans le confort de sa nostalgie. Il faut des voix comme la sienne pour le secouer, le sortir du mausolée de la mémoire et lui rappeler que le patriotisme n’est pas un souvenir : c’est un devoir quotidien.
Quand le tumulte retombera, il restera une vérité inévitable :
tant que nous continuerons à vivre dans le souvenir des bâtisseurs sans devenir à notre tour des bâtisseurs, nous ne serons qu’un peuple en deuil de lui-même.


